Distinction

La nouvelle de l'Espace - 2016

(Tous droits réservés)

 

Exodust

Par Carol BEDOUET

Procédure d’atterrissage enclenchée. La voix métallique du système automatique commença à dérouler la procédure d’atterrissage. Se poser sur Mars était une routine bien rôdée, mais le faire pour la première fois sur une nouvelle planète restait une opération à risques. La gravité, la portance de l’atmosphère, la force des vents, tous ces paramètres que les ordinateurs découvraient en direct.
Demeurait aussi l’incertitude sur l’état de la fusée après quelques années d’un voyage à une vitesse proche de celle de la lumière. La propulsion via l’énergie noire était remarquablement efficace, mais il subsistait des contraintes importantes sur le matériel, malgré le champ de force protégeant le vaisseau.
Le voyage avait duré 8 ans pour atteindre Proxima du

3

Centaure. La distance était d’un peu de plus de quatre années lumières, mais accélération et décélération doublaient quasiment la durée sur ce court trajet.
Le vaisseau s’était mis en orbite autour de la planète le temps de faire les observations et analyses nécessaires avant de se poser. La planète était très minérale, ce qui n’était guère encourageant. Il n’y avait aucune trace visible d’eau ni de végétation.
La voix métallique continuait de décrire l’approche. On avait conservé ces voix synthétiques pour différencier les robots des humains, leurs performances étant devenues bien supérieures. Peut-être même étaient-ce les robots qui ne voulaient pas être confondus avec les hommes ?
Le vaisseau se posa un peu durement, il restait des progrès à faire dans l’antigravitation. La planète devait être plus massive que prévue. Les conditions connues étaient prometteuses quant à la température, la présence d’oxygène, mais la réalité pouvait déceler des surprises. C’était la première fois que l’on mettait le pied sur une planète hors du système solaire et les inconnues étaient multiples.
Les hommes se mirent au travail. Depuis 8 ans, ils avaient passé la majorité du temps dans une léthargie profonde, une sorte de relaxation médicalisée. Il fallait

4

résister aux contraintes physiques liées à l’accélération continue pour atteindre la vitesse de croisière, proche de celle de la lumière, puis à l’inverse supporter la décélération, tout cela sans traumatisme ni souffrance. Impossible en mode conscient. Ils n’étaient sortis de cet état que depuis quelques semaines pour doucement se réadapter.
- Alain, il est prévu que tu nous fasses une présentation de travail sur la mission. Je suis impatient de savoir ce que tu as à nous dire.
C’était Ron, le commandant de bord, qui venait de parler. Alain était un archéologue historien qui dénotait sur ce type de mission.
- En effet, vous devez vous interroger sur les raisons de ma présence. Comme vous pouvez le faire sur celle d’une linguiste ou d’un naturaliste.
Il y avait là tous les participants de la mission, 27 hommes, 12 femmes, qui écoutaient attentivement pour découvrir la finalité de celle-ci. Chacun connaissait son programme personnel, mais n’avait aucune une idée précise du projet lui-même.
- Vous savez tous que nous ne pouvons voyager à une vitesse proche de celle de la lumière que depuis une cinquantaine d’années. Avant, il y a eu de multiples

5

technologies bien moins efficaces qui ne permettaient d’atteindre que des vitesses ridicules. Nous sommes passés en un millénaire de 78 000 ans pour ce voyage à 8 ans. Mais il y a 300 ans, un vaisseau habité a été envoyé vers notre destination actuelle. Ils ont voyagé 30 ans, ce qui est énorme, mais c’était la propulsion par fusion nucléaire, puis ils ont disparu. Se sont-ils écrasés sur la planète ? Se sont-ils posés mais avec des dégâts impossibles à réparer ? Ont-ils survécu ? Ont-ils rencontré des habitants ? Nous n’en savons rien, et nous devrons le découvrir.
- Mais pourquoi nous avoir envoyés alors que des robots auraient suffi ?
- Tout porte à croire que du fait de l’atmosphère, de la présence d’oxygène, de la température clémente, la vie puisse exister ici. A l’époque, ce n’étaient que des ingénieurs qui ont pu rencontrer des problèmes insurmontables pour eux. D’où cette mission pluridisciplinaire qui nous permettra de nous adapter aux conditions que nous rencontrerons.
- Mais pourquoi un linguiste ?
- Pour le cas où nous rencontrions des êtres qui ont un langage. Ou plus simplement, des descendants humains dont le langage a évolué. Et le naturaliste, pour étudier la

6

flore, et pourquoi pas la faune si elle existe.
- Pour résumer, nous partons donc à la recherche d’humains, ne sachant pas s’ils sont venus sur cette planète, s’ils y ont survécu, ou encore s’ils ont rencontré des extraterrestres. On ne nous avait pas présenté cette mission ainsi.
- Mais quelles sont les chances que l’on puisse retrouver leurs traces ? Cette planète est certes plus petite que la Terre, mais d’un tiers seulement.
- Nous avons repris toutes les informations que nous avions, avec nos moyens modernes, et nous sommes sûrs à 93,27% que le vaisseau s’est posé très près d’ici. Nous devrions donc retrouver les traces de leur passage.
- Nous avons normalement de quoi tenir ici 3 années, le temps d’explorer et de mettre en place des infrastructures pour les vols à venir.
- Et donc si on ne retrouve pas de survivant ce qui me semble le plus probable, mais si on trouve des extraterrestres, qu’est-il prévu que nous fassions ?
- C’est pour cela que la présence humaine a été privilégiée, ce sera à nous à nous adapter.
La routine reprit, avec une tension palpable. Ce n’était pas à l’idée de croiser des extraterrestres, ce qui était une hypothèse connue depuis le début, mais sans doute de

7

porter secours à leurs semblables qui les angoissait au plus haut point. La nature humaine est parfois insondable.
L’exploration débuta comme prévu, un drone fut envoyé vers la zone alpha.
Il trouva rapidement l’endroit où il s’était passé quelque chose. La surface était un désert de pierres sans trace de végétation. Mais rapidement émergea une zone différente, vue de loin on aurait dit un jeu de construction laissé à l’abandon par un enfant, mais avec des structures visiblement réfléchies, construites.
Une équipe se mit en route. L’atmosphère était respirable, à condition de s’équiper d’un filtre car il y avait énormément de poussière qui parfois volait en nuage bien qu’on ne ressentit pas le vent. L’approche fut longue, il fallait progresser dans un relief mouvementé avec une multitude de cailloux plus ou moins gros. Le naturaliste, qui pour l’occasion faisait aussi office de géologue, découvrait une surface étrange, bien distincte de la seule poussière lunaire, ou du désert martien. On aurait dit qu’on avait égrené là quantité de cailloux, comme concassés et disséminés partout. La présence de l’atmosphère justifiait l’absence de cratères d’impact, mais d’où pouvaient provenir cette infinité de blocs de

8

toutes tailles ?
Ce qu’on avait pris pour un jeu de construction était en fait autant de statues de pierre. L’île de Pâques dans l’espace. Pas des têtes difformes fichées dans le sol, mais les astronautes venus là quelques siècles auparavant, couchés à même le sol ! Ils étaient trois, sans scaphandre, reproduits à la perfection ; plus loin deux baraquements, et plus loin encore le vaisseau lui aussi sculpté, endommagé, ce qui justifiait la perte de cette mission.
On était en présence de reproductions à l’identique, Rodin n’aurait pas fait mieux, on les croyait vivants, tels des hologrammes de pierre.
La première partie de la mission était un succès, cela en seulement quelques jours. On prépara le mini-vaisseau prévu à cet effet qui devait renvoyer au plus vite sur la Terre des échantillons de cette découverte, un casque, sculpté ou fossilisé, difficile à dire, des cailloux, de la poussière, hélas aucune plante ni même échantillon d’eau. Moins de 10 kg, qui n’arriveraient que peu de temps après les images, pas de souci d’accélération car il n’y avait que des objets dans cette capsule.
L’analyse des statues dura plusieurs semaines, afin d’essayer de déterminer qui pouvait avoir réalisé ce travail d’orfèvre. Tout était impressionnant, la moindre

9

aspérité de la peau, les narines creusées, les cils, on aurait dit qu’ils allaient cligner des yeux. Le vaisseau avait été manifestement éventré, le choc avait dû être violent. Enfin c’était la reproduction qui en était faite.
Alain se demanda s’il n’y avait pas là un message laissé pour les générations futures, inscrivant dans la pierre ce qui s’était passé pour ne pas perdre cette histoire. Ils savaient qu’ils allaient mourir, et que les restes de la fusée allaient eux aussi disparaître. C’était un travail colossal, mais à l’époque les explorations se faisaient en emmenant des imprimantes 3D, afin d’éviter d’avoir à emmener un stock énorme de pièces de rechange en tous genres. Ils avaient utilisé le matériau trouvé sur place, cette poussière, ces micro-cailloux, de toutes les tailles, afin de réaliser cette troublante composition. Ils avaient aussi tracé sur le sol une sorte de tableau de chiffres, qui allait de 101 à 422. Quelle en était la signification ? Une façon de compter quelque chose peut-être ?
Le camp de base fut installé près du mémorial, une façon d’honorer les premiers découvreurs de cette planète. Chacun pouvait les voir chaque jour, et il arrivait que tous se réunissent en ce lieu pour se ressourcer, se dire que le travail qu’ils avaient entrepris n’était pas vain, et que d’autres l’avaient déjà initié dans un lointain passé,

10

sans espoir de retour. Alain analysait aussi ces sculptures, car elles révélaient tant de détails incroyables. Notamment les entrailles du vaisseau, il avait pu examiner les moteurs, voir l’imagination des ancêtres pour créer de telles machines hyper complexes qu’on ne saurait aujourd’hui reproduire.
La mission devait durer 2 années, puis repartir. Le plus rassurant était que toute idée d’extraterrestre avait été écartée, après les premières craintes d’avoir imaginé des êtres qui auraient sculpté la mission précédente dans la roche.
La poussière était le plus pénible, il arrivait que les masques tombent, qu’on la respire, et étrangement ce n’était pas handicapant, mais faisait augmenter le stress de chacun. Elle avait un comportement assez bizarre, car malgré l’atmosphère on ne sentait pas de vent, mais parfois il y avait des nuages de ce sable qui recouvraient tout, sauf les sculptures d’ailleurs. Les pionniers avaient peut-être trouvé le moyen de les protéger.
Et était-ce cette poussière qui faisait tomber en panne les instruments ? Rapidement, le drone ne fonctionna plus, impossible de le remettre en marche, tous ses circuits étaient devenus inactifs. Il avait beaucoup volé, cela pouvait s’expliquer.

11

Puis la radio cessa d’émettre. On n’était là que depuis un mois et demi, et la tension devint palpable au sein de l’équipe. Impossible de communiquer désormais avec la Terre !
Quant au début du quatrième mois ce sont toutes les installations électriques qui cessèrent de fonctionner, on entra dans une psychose. On était revenu à l’âge de pierre.
Il fallut prendre des notes à la main, comme jadis, ce dont on avait perdu l’usage. Car évidemment on n’avait aucun support pour écrire, Alain se rappela le papier des anciens, les stylos. Il fallut écrire dans la poussière, comme les pionniers.
Il comprit alors la signification du tableau de nombres qu’il avait trouvé. Ils étaient arrivés depuis 3 mois environ, soit environ 100 jours. Donc, pour faire un calendrier, il fallait commencer au nombre 101. C’est ce qu’avaient vécu les anciens, obligés de marquer leurs jours dans la poussière.
Mais pourquoi s’arrêter à 422 ? Etaient-ils partis à ce moment-là ? Pour aller où ? Et comment, si plus rien ne fonctionnait ?
Il garda ses sinistres pensées pour lui, tout en continuant son calendrier personnel.

12

Les organismes fatiguaient, mais chacun continuait à travailler d’arrache-pied pour tenter de s’en sortir. Sans succès hélas. La vie se figeait, les jours passaient, les nombres s’incrémentaient. Quand il arriva à 365, cela faisait un an qu’ils avaient atterri, il ne dit rien. Il regardait plutôt l’échéance avec inquiétude. S’il ne se trompait pas, il restait environ deux mois.
Ces deux mois passèrent si vite.
Il était de plus en plus fatigué, il peinait à se déplacer, et même à penser.
Au 418ème jour, n’en pouvant plus, il s’allongea par terre, face à une des statues, et il l’observa. Cet homme avait vécu là il y a plus de 200 ans. Non pas cet homme, mais celui qui avait servi de modèle à cette statue. Et quelqu’un avait tracé, proche de sa main, le mot POUSSIERE suivi de VI. S’agissait-il du chiffre 6 en romain ? Ce serait étonnant, car plus personne ne connaissait cette civilisation éteinte depuis plusieurs millénaires. Et d’ailleurs, où étaient tous les hommes ? Même le vaisseau avait disparu, il ne restait que ces sculptures. Aucune trace non plus des machines, ces imprimantes qui devaient être imposantes pour réaliser de tels objets. Peut-être finalement avaient-ils tous pu repartir ? Ils auraient laissé ce témoignage comme

13

preuve de leur passage, et ne pouvant survivre décemment ici, seraient allés ailleurs, vers une autre planète. Il fit l'effort de réfléchir et se dit que c’était improbable. Le message était clair, leur vaisseau avait été trop endommagé pour repartir dans l’espace.
Une autre hypothèse était qu’ils aient trouvé sur cette planète un endroit plus accueillant et que tous y aient migré. Ils pouvaient penser qu’on retrouverait leur point de chute, et avaient laissé ce message. Un peu compliqué comme message, mais pourquoi pas s’ils imaginaient que les secours ne viendraient que fort longtemps après.
Mais ces statues étaient si lisses, sans poussière les recouvrant, alors qu’ici tout se chargeait de poussière. Difficile de comprendre cela.
La fatigue l’envahissait.
Ces hommes, figés dans le repos, dans la fatigue, couchés dans la poussière, qui pourtant les évitait... Ces hommes endormis, semblant être là pour l’éternité, habitants de ce nouveau monde.
Il ferma les yeux, se sentant doucement sombrer, tout en sentant en lui une énergie, un fourmillement, qu’il ne maîtrisait plus.
Dans un sursaut de lucidité, il rouvrit ses yeux lourds, il tendit la main et écrivit VIVANTE dans la poussière.

14

Il venait de comprendre. Les extraterrestres étaient là, tout autour de lui, et pire, ils étaient en lui. Cette poussière, c’était eux ! Ces sculptures, c’étaient les hommes qui avaient été phagocytés par ces extraterrestres diffus. Toutes ces pierres, des petites, des grosses, c’était toute une armée qui luttait pour se défendre, contre les envahisseurs. Ces statues étaient vivantes !
Il se dit qu’on le trouverait lui aussi, allongé, au milieu de ce mémorial, quand les autres arriveraient, que chacun s’interrogerait. Ce ne serait pas dans 200 ans, ce serait plus tôt, mais trop tard !
Au dernier moment, il repensa à ce vaisseau qu’ils avaient envoyé vers la Terre, emportant ces pierres, cette poussière, ces extra-terrestres.
Finalement, personne ne viendrait.

15