Troisième Prix

La nouvelle de l'Espace - 2016

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Le voyage de l’Aristote.

Par Benoit LONIER

La silhouette effilée de l’Aristote fendait le vide de l’espace. Après un long voyage le vaisseau était arrivé à destination, une planète découverte il y a bien des décennies par le télescope JWST. Sa ressemblance avec la terre promettait la possibilité de rencontrer une forme de vie. Le fuselage de l’Aristote renfermait trois spationautes chargés de mener à bien l’exploration. Mis en veille pendant le trajet pour économiser une énergie trop précieuse, un par un les systèmes secondaires se remirent en service.

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Comme sortant d’un réveil difficile, les hommes émergent de l’état léthargique dans lequel ils étaient placés. Ils se croisent en silence et actionnent maladroitement des commandes. Tout se fait de manière mécanique, les mois d’entraînement n’ont pas été inutiles. Parmi tous les records que la mission est en train de battre, celui du plus long voyage spatial est battu. Après de brèves civilités, il est temps de se mettre en action. Le plus grand, que les deux autres nomment l’ingénieur, s’installe derrière une console pendant qu’ils referment l’écoutille de la navette. Pour cette première il a été décidé en haut lieu d’utiliser des formules éprouvées par le passé. L’ingénieur restera en orbite à bord de l’Aristote pendant que deux spationautes descendront sur la planète avec une navette légère. ‘’Légère’’ mais disposant de tout le nécessaire de survie et d’exploration. Ecoutille fermée, navette prête à fonctionner, orbite parfaite, ils actionnent la commande qui les décroche du vaisseau.

Tchac !

A travers le parebrise de la navette les explorateurs voient l’Aristote s’éloigner à grande vitesse.

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L’effet d’optique les fait sourire; en réalité c’est eux qui dégringolent et ne vont plus tarder à pénétrer l’atmosphère. Pour l’instant les corps ne ressentent aucun indice de cette chute mais, même si tout se passe comme prévu, les sensations risquent d’évoluer de manière désagréable. Malgré une phase d’approche maîtrisée depuis le XXème siècle les spationautes restent attentifs et scrutent les données des instruments, prêts à réagir à la moindre alerte. A 10000 mètres du sol, selon l’ordinateur de bord, la navette se met automatiquement en pallier pour laisser le temps à l’équipage de lancer les capteurs; s’affiche alors un nombre considérable d’informations, bien trop pour un cerveau humain.

L’électronique se charge de sortir une synthèse et de l’afficher sur un écran. Tous ces automatismes affolaient les pionniers de la conquête spatiale, mais eux sont des scientifiques peu friands de pilotage. Après un bref contact radio avec l’Aristote qui confirme les résultats, l’exploration reprend. Malgré quelques différences avec la Terre, la composition de l’air est adaptée aux humains. Le radar météo placé dans le nez de la navette confirme un ciel dégagé.

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A travers le parebrise la planète déroule en effet ses paysages. Au loin des sommets montagneux sont accrochés par quelques nuages semblables aux cumulus terriens. Laissant filer la navette les spationautes admirent un instant le panorama qui s’offre à eux. La mission ne laisse guère de place à la contemplation et il est déjà temps de rentrer les ordres pour la deuxième phase de la descente. Cette fois il faut descendre dans les basses couches.

A l’entraînement, les pilotes du centre spatial les ont préparés à évoluer dans un air turbulent et ils n’ont pas du tout aimé cette partie de la formation. La planète présentant un relief varié, des océans et tout un système météorologique proche de la Terre, il était à craindre de rencontrer une masse d’air malicieuse. Chose promise, chose due, la navette est ballottée sur tous ses axes pendant que le géologue rend son déjeuner dans un sac prévu à cet effet. Son voisin de siège, biologiste, s’il parvient à se contenir ne se sent guère plus à l’aise.

Ordre est rapidement envoyé à l’ordinateur de bord de chercher une zone plus calme. Virant sur l’aile, la navette change de cap.

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Les 2 spationautes ne comprennent pas les éléments qui permettent à l’ordinateur de choisir un autre cap mais ils constatent rapidement que le nouveau secteur de vol est effectivement moins chahuté. Sortis du relief et de son cisaillement de vent, ils peuvent souffler et reprendre leurs esprits. Sur les ondes, l’homme resté en orbite vient aux nouvelles. Elles sont rassurantes. Les données sont toujours aussi bonnes. Ils n’auraient jamais parié tomber sur une planète aussi semblable à la nôtre. Parmi tous les scénarios élaborés en préparant la mission, celui qui se déroule est le meilleur, celui que personne n’aurait osé espérer. Décision est alors prise de lancer la dernière phase de descente: l’atterrissage. C’est une première pour l’humanité : des hommes vont marcher sur une exoplanète. Toutes celles qui ont été observées ne sont ni habitables ni atteignables avec la technologie du moment.

Les appareils de l’Aristote ont sélectionné plusieurs sites et les analysaient pendant que les occupants de la navette virevoltaient dans l’onde de relief. Il apparaît que la zone où la navette évolue n’est pas propice contrairement aux grandes plaines qui s’étalent au nord.

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Suivant les consignes de l’avionique la navette entreprend un vol jusqu’à l’emplacement jugé idéal. Le paysage défile à nouveau sous les yeux des spationautes, rapidement les reliefs s’estompent pour ne former plus qu’une ligne droite. Prenant un dernier café avant l’action, le biologiste se demande ce que contient réellement le nectar qu’il déguste. Depuis des mois ils n’assimilent plus que des aliments déshydratés et autres ersatz. Un message sur le tableau de bord indique que la navette est arrivée à la verticale d’un point repéré par l’Aristote. Elle se met à décrire un large virage autour de la zone d’atterrissage. Les instruments indiquent une altitude de 3000 mètres. La situation semblant toujours aussi bonnes aux instruments et aux yeux des spationautes la navette descend à 500 mètres. Un dernier point confirme les bonnes dispositions du lieu et l’ordinateur amorce la toute dernière descente. Le rythme cardiaque des hommes s’accélèrent. Rajustant automatiquement ses données altimétriques la navette se pose en douceur comme prévu. Les spationautes respirent et reprennent leurs souffles avant de décrocher les ceintures. Encore une fois l’ordinateur indique des conditions extérieures particulièrement favorables à l’être humain.

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Mais le protocole est le protocole et ils enfilent leurs combinaisons et se préparent à la première sortie extra véhiculaire. Ils ouvrent la porte, descendent les quelques marches et foulent enfin le sol. Le géologue trouve alors judicieux de lancer à la radio le message d’un ancien astronaute. Rapidement rappelé à l’ordre par son collègue, la mission commence. Ils se livrent à une série de prélèvements. Une partie sera analysée à bord de la navette, une autre une fois de retour sur l’Aristote mais l’essentiel est destiné aux laboratoires terriens. Tout en recueillant leurs échantillons la question fait son chemin dans leurs têtes. Et la vie ?

« Là ! Regarde » dit le biologiste comme s’il devinait les pensées du géologue. Ballotée par un vent léger de molles tiges s’agitent doucement.

« De ’’ l’herbe’’ ! C’est la vie. Qui dit végétaux dit animaux. »

Au fil de l’exploration la découverte de plantes se multiplie. Le biologiste pousse des cris de joie à chaque nouvelle espèce.

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Et c’est alors qu’apparaît la première forme mouvante. Le biologiste rassure son confrère, il s’agit d’un herbivore mais la présence de prédateur n’est donc plus à exclure. Chaque pas doit s’effectuer avec prudence.

C’est ce moment que choisit le troisième homme pour les avertir que l’Aristote détecte d’étranges signaux. Il les capte depuis l’arrivée en orbite mais les analyses et les vérifications ont pris du temps. Le signal est un langage, et il provient de la planète. Pas de tergiversation, il faut se rendre dans le secteur d’où il émet. Dans la navette le silence règne mais les cerveaux sont en ébullition. 1000 pensées traversent les spationautes : forme de vie intelligente ou erreur d’interprétations de l’ordinateur, amical ou …

Ils auront bientôt la réponse. Ils sont arrivés, la navette recommence sa procédure d’atterrissage sur un sol qui ressemble au premier endroit exploré. Aucune structure n’est visible en surface. Une fois dehors les spationautes ne découvrent rien de plus. Rien de visible, rien sur les détecteurs de la navette, rien sur les détecteurs de l’Aristote et pourtant un message régulier est émis depuis ce point géographique.

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Ne voulant pas abandonner, les spationautes décident d’inspecter le sol. Les détecteurs et capteurs sont tournés vers le bas. Le géologue entre en action et ne constate qu’un sol plein d’argile et de minéraux. Il n’existe même pas une cavité pouvant abriter des installations souterraines.

Après deux jours de recherche ils décident d’abandonner et mettent le compte du message sur un ‘’bruit’’ parasite quelconque. La navette redécolle et part explorer un autre point de la planète. Au bout des six mois prévus l’équipage de l’Aristote quitte l’orbite et entame son long voyage de retour, les cales pleines de fantastiques découvertes. La planète est viable, la vie s’y épanouit. La faune et la végétation sont luxuriantes en de nombreux endroits mais aucune trace de vie intelligente n’a été découverte, si ce n’est ce curieux signal qui n’a cessé d’émettre qu’au départ du vaisseau.

Sur la planète, des êtres qui s’apparentent à nos astronomes observent la traînée des moteurs de l’Aristote disparaître dans le vide spatial. Emerveillés par ces êtres venus d’ailleurs, ils n’ont jamais cessé de tenter de les contacter.

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Ils ont bien vu qu’ils avaient reçu le message et s’étaient rendus sur le site d’accueil mais ils passaient devant eux sans les voir. Tous les efforts de signes de bienvenue sont restés vain, ils tendaient leurs feuilles, agitaient leurs tiges selon ce qu’ils pensaient être un signe universel de communication. En vain !

Mais, tout espoir n’etait pas perdu. Placé dans un récipient transparent l’un d’entre eux était parti à bord du vaisseau.

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