Deuxième Prix

La nouvelle de l'Espace - 2014

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Une réponse inattendue

Par Emmanuel COURTADE

D'un seul geste, Astril récupéra sa bouteille d'eau. En apesanteur, elle avait commencé à s'envoler lentement hors de sa portée. Il se trouvait dans la base de maintenance du parc photovoltaïque spatial, en orbite autour de la planète Mars.

Dès qu'il avait soufflé sa dixième bougie, Astril avait fait le vœu de travailler dans le domaine spatial. C'était un sujet qui l'avait toujours passionné. Non seulement les technologies utilisées dans l'espace avaient vite suscité chez lui un intérêt hors du commun, mais il avait également aimé découvrir l'Histoire de la conquête de l'espace par l'homme.

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Ils étaient aujourd'hui en l'an 3014, soit 1045 années après que l'homme eût fait ses premiers pas sur la Lune. C'était incroyable les progrès qu'ils avaient réalisés depuis !

Grâce aux réacteurs à fusion nucléaire, l'évolution des voyages spatiaux avait permis aux hommes d'émigrer en grand nombre vers Mars, qui était alors appelée planète rouge. Désormais, ce qualificatif n'était plus valable. Depuis que la terraformation avait été amorcée plusieurs siècles auparavant, l'eau avait coulé à bien des endroits, s'étendant en de larges mers bleutées. La flore aussi s'était développée, formant de vertes prairies. Les scientifiques y avaient fait naître une véritable atmosphère, dont les nuages s'effilochaient en de fins rubans blancs.

Cependant, le processus n'était pas terminé, la composition de l'air dans la basse atmosphère n'était pas au point. Quiconque se serait aventuré à sortir à l'air libre sans scaphandre serait mort asphyxié, l'oxygène y étant trop rare. Cela expliquait en grande partie pourquoi on ne pouvait pas trouver de forme de vie évoluée sur Mars. Il n'y avait pas encore, non plus, de

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grands arbres ni de forêts, mais seulement de l'herbe et quelques arbustes résistants.

Les êtres humains avaient construit d'immenses bases dans lesquelles s'étaient développées des villes. Dans ces zones l'air était respirable, l'oxygène était produit à l'aide de grandes fermes à cyanobactéries, bactéries capables de fournir le précieux composé gazeux grâce à la photosynthèse.

La population martienne avait augmenté de manière substantielle ces dernières années, si bien que les colonies s'étaient même agrandies dans les sous-sols de la planète. Un observateur qui aurait étudié ces bases martiennes avec assez de recul aurait pu les comparer à des fourmilières.


Ces cités tiraient leur énergie de plusieurs sources. Les vents martiens pouvant s'avérer très puissants, des éoliennes avaient été installées. De même, on récupérait de l'énergie hydroélectrique ainsi que photoélectrique, c'est à dire respectivement grâce à la puissance

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du courant de certains fleuves martiens et grâce à l'énergie solaire. Toutefois, il existait une source essentielle d'énergie, et c'était indubitablement le parc photovoltaïque spatial où travaillait Astril. Il s'agissait encore une fois d'énergie solaire, mais cette fois-ci, elle était récupérée dans l'espace, au delà de l'atmosphère de la planète qui était une cause de pertes considérables. Sans atmosphère, le rendement était bien supérieur.

Mais comment transmettre cette énergie aux colonies depuis la station ? Là avait été la principale question lors de la présentation du projet. La réponse proposée et retenue avait requis le déploiement de moyens considérables … Une tour de plus de cent kilomètres de hauteur, fine mais néanmoins résistante, avait été bâtie dans le but de relier la station photovoltaïque à la surface de Mars ! Lorsqu'un homme était au pied de celle-ci, il ne pouvait en voir le sommet ! Cette tour aurait cependant pu être désignée par le mot tube, du fait de son diamètre qui n'excédait guère un mètre.

Cet objet intriguait inévitablement ceux qui n'en connaissaient pas l'utilité. Ce tube servait en réalité de guide de lumière, comme une sorte de fibre optique

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géante. La station photovoltaïque transmettait à travers le tube l'énergie récupérée dans l'espace jusqu'à la colonie sous la forme d'un rayon lumineux très énergétique. A l'intérieur, les parois métalliques possédaient un pouvoir réfléchissant avoisinant les cent pour cent, et un vide poussé y était réalisé, ainsi, les pertes lors du cheminement de la lumière s'avéraient très faibles.

Astril avait été l'un des chanceux ayant réussi à décrocher un poste dans la station de maintenance du parc photovoltaïque spatial. Dans la salle de contrôle, alors qu'il veillait au bon fonctionnement des différents panneaux, sa bouteille d'eau lui avait échappé et il venait de la rattraper de justesse. Il n'y avait de toute façon aucun risque que l'eau s'échappe du récipient, étant en apesanteur les contenants de liquides étaient tous fermés et munis d'une paille. Sans cela, le liquide serait sorti sous forme de gouttelettes en suspensions. A ses débuts, c'était arrivé à Astril qui s'était alors évertué à essayer d'aspirer l'eau en apesanteur … et cela n'était pas aussi simple que cela en avait l'air.

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Distrait, Astril se concentra à nouveau, il ne devait pas laisser passer la moindre anomalie. Il lui fallait repérer n'importe quel changement qui aurait traduit un dysfonctionnement, par exemple une chute anormale du rendement d'un des panneaux. Pour cela, il avait à sa disposition de nombreux écrans face à lui sur lesquels étaient notifiées toutes ces informations.

Rien ne laissait en tout cas présager de tels problèmes. Tout était en ordre, les rendements étaient corrects … Il semblait qu'une journée de surveillance routinière se profilait, une journée assez reposante en sommes, même s'il devait rester vigilant.

Comme il n'aimait pas être désœuvré, il prit sa tablette holographique et se mit à lire sur cette-dernière - tout en gardant un œil sur les écrans de surveillance. Les textes ainsi que les illustrations qui les accompagnaient apparaissaient en relief. Il s'agissait d'un ouvrage sur l'histoire des sondes spatiales, et un chapitre sur la sonde Pioneer 10, lancée en 1972 attirait particulièrement son attention. A l'époque, elle avait été envoyée pour prendre des photos de Jupiter, mais elle avait aussi emporté avec elle une plaque destinée à d'éventuels

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extraterrestres. Cette plaque inaltérable contenait quelques informations gravées, tels que les dessins d'un homme et d'une femme ainsi que de l'atome d'hydrogène. En lisant ceci, Astril esquissa un sourire, cela faisait maintenant bien longtemps que les hommes avaient abandonné leur recherche de vies intelligentes dans la galaxie … c'était devenu une idée absurde que de dépenser de l'argent pour une telle quête, qui était de toute manière vouée à l'échec selon lui. Ce qui l'intriguait en revanche, c'était de se demander où pouvait bien se trouver cette plaque à l'heure qu'il était. Sûrement bien loin ! Elle avait dérivé dans l'espace depuis plus de mille ans … Peut-être d'ailleurs n'était-elle pas aussi inaltérable que ce qui avait été prévu, peut-être avait-elle été désintégrée en percutant un météore. Cela resterait un mystère, pour lui comme pour toute l'humanité.

Le bruit d'ouverture de la porte de la salle de maintenance le tira de ses songes. Quand il se retourna, il aperçut Dext, l'un de ses vingt collègues, en train d'avancer lentement en apesanteur dans sa direction.

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Celui-ci remarqua aussitôt la tablette holographique, ce qu'il ne manqua pas d'indiquer en ces termes :

- Toujours avec ta tablette à ce que je vois ! Et j'imagine qu'il s'agit encore d'Histoire spatiale …

- En effet, confirma Astril avec amusement, ce n'était pas très dur à deviner.

Astril déposa sa tablette dans un emplacement spécial du bureau, sorte de tiroir automatique qui se referma sur l'objet. Puis, lui et son collègue observèrent les données sur les écrans.

- Aucun problème depuis que je suis ici, affirma Astril calmement.

Au moment même où il prononçait ces mots, un voyant rouge apparut avec un signal sonore strident. Les visages des deux astronautes affichèrent instantanément une expression grave. Le rendement d'un panneau solaire ne cessait de diminuer, jusqu'à devenir quasiment nul.

- Que se passe-t-il ? demanda Dext en fronçant les sourcils.

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Astril ne répondit pas de suite. Il positionna sa main droite à la surface d'un écran et écarta les doigts pour zoomer sur une zone rouge du plan des panneaux solaires. La partie rouge représentait le matériel défaillant, qui se trouvait à la périphérie du parc photovoltaïque.

- Les panneaux qui ne fonctionnent plus se situent au bord, affirma-t-il.

Il ajouta après quelques secondes de réflexion :

- Ça vient certainement d'un choc avec un météore …

Dext, qui avait attendu son avis sur la question, se précipita dans les airs vers la sortie en disant :

- Prépare-toi à sortir dans l'espace, je vais commencer à exécuter la procédure de sortie d'un module de maintenance.

Finalement, contrairement à ce qu'avait pensé Astril, cette journée ne serait pas une simple journée de surveillance routinière ! Il fallait qu'il enfilât la combinaison de sortie spatiale, dotée d'un scaphandre et

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de propulseurs dans le dos. Il en trouverait une à disposition dans le compartiment des modules de maintenance.

Sans plus attendre, il se dirigea vers cette zone, poussant sur les murs pour avancer en apesanteur. Les couloirs circulaires étaient étroits, justement pour faciliter au mieux les déplacements. Il avançait le plus vite qu'il pouvait, sous les lampes blafardes qui éclairaient l'intérieur.

Alors qu'il arrivait aux modules de maintenance, presque tous ses collègues s'affairaient. Ils aidèrent Astril à enfiler une combinaison. Cette-dernière n'était pas vraiment pratique pour se mouvoir, mais elle était évidemment indispensable pour protéger des radiations de la lumière du soleil.

Bien équipés, Astril et Dext cheminèrent vers le sas d'embarquement d'un module de maintenance. Des ouvertures en diaphragme leur offrirent l'accès vers le véhicule spatial. Quand ils y entrèrent, ils se trouvèrent dans un espace confiné où un grand nombre de voyants lumineux clignotait, chacun ayant une signification bien connue des deux astronautes.

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Ils prirent place dans le cockpit, s'attachant à des sièges en face des commandes. Dext appuya sur un bouton qui activait le système de télécommunication puis s'exprima de vive voix :

- Centre de maintenance, ici Dext. Nous sommes prêts pour le désarrimage du module.

Un bruit mécanique résonna dans l'habitacle. Dès lors les deux passagers sentirent que le véhicule n'était plus solidaire de la station et qu'il était libre de se déplacer ; une voix transmise par radio le confirma : « Désarrimage terminé ».

Astril et Dext commencèrent à activer certaines commandes, appuyant sur des boutons et gérant des paramètres sur des écrans tactiles.

- Propulseur numéro un activé, fit Astril tout en augmentant la vitesse de ce propulseur sur un écran.

A ce moment là, on pouvait sentir que le vaisseau s'était véritablement ébranlé. Non loin de là, à travers la partie transparente du cockpit, on voyait les panneaux solaires vers lesquels ils se dirigeaient.

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- Propulseur numéro deux activé, dit Dext à son tour.

Désormais, le module se déplaçait à une vitesse correcte, et les deux passagers ne mettraient que quelques minutes à atteindre la cellule solaire défaillante. Comme l'avait remarqué Astril, celle-ci se trouvait en bordure du parc photovoltaïque, elle était donc relativement éloignée de la station de maintenance.

A mesure que le véhicule avançait, les panneaux solaires grossissaient à travers la fenêtre du cockpit, et l'on prenait alors pleinement conscience de l'ampleur de cette station solaire et de la grandeur des cellules photovoltaïques. Chacune avait la forme d'un carré d'environ cinq mètres de côté, et il y en avait des centaines.

Soudain, une communication leur fut transmise : « Astril, Dext, il semble que le panneau qui était touché tout à l'heure ait regagné en puissance, par contre celui qui se trouve juste à côté vient de perdre en énergie reçue … »

- Étrange, commenta Dext.

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- Non pas tant que ça, au contraire, répliqua immédiatement Astril. C'est sûrement un objet qui fait de l'ombre aux panneaux.

- En effet, reconnut Dext, c'est probable.

Et puis en réduisant la vitesse du propulseur numéro deux :

- Ça y est, on arrive. Ralentis, Astril.

L'astronaute s'exécuta en diminuant la vitesse du propulseur numéro un sur l'écran. Ils se trouvaient à la limite de la station solaire et tout en dépassant le dernier panneau, ils manœuvraient afin de localiser la cause du problème.

Ils n'eurent pas beaucoup de mal à la trouver, il s'agissait bien d'un objet qui obscurcissait les cellules photovoltaïques. L'objet était rectangulaire, il apparaissait comme une ombre à la dérive, qui s'interposait en bloquant les rayons du soleil. Astril s'adressa à la station de maintenance par télécommunication :

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- Nous avons déniché la source du problème. C'est simplement un objet qui fait de l'ombre aux panneaux. On ne voit pas très bien ce que c'est exactement, mais ça n'est certainement pas un météore, c'est manifestement un objet d'origine humaine … peut-être un satellite inactif. Nous allons l'intercepter et le transporter hors de la zone.

- Astril et Dext firent avancer le module vers l'objet. Ils n'arrivaient pas à l'identifier, il était en tous cas à peu près aussi imposant qu'un des panneaux solaires. En s'approchant, quelques reflets qui les éblouirent leur firent penser qu'il était métallique. Cela ne ressemblait pas vraiment aux satellites tels qu'ils les connaissaient. Ils étaient maintenant à quelques mètres et arrivaient à en distinguer la surface. Il y avait des inscriptions blanches sur un fond gris sombre.

- Approchons-nous encore un peu, suggéra Astril qui fermait à moitié les yeux en observant les inscriptions. Je vois comme des gravures, mais ça n'est pas très net …

Ils s'approchèrent donc légèrement et, alors que Dext était toujours dubitatif, Astril afficha une expression

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d'intense stupéfaction. Même si elles n'apparaissaient pas nettement, les inscriptions lui rappelaient fermement celles qu'il avait vus sur sa tablette holographiques … celles qui avaient été gravées en 1972 sur la plaque de la sonde Pioneer 10. Se pouvait-il … Se pouvait-il que ce fût la plaque elle-même, et qu'elle eût dérivé jusqu'ici après tant de temps ?

Astril avait les yeux rivés sur cet objet et, quand il put distinguer ce que représentaient ces gravures, il ressentit un étonnement encore plus grand. Ce n'était pas la plaque de la sonde Pioneer 10 ! Néanmoins, les inscriptions suivaient un schéma complètement identique. A la place du dessin de l'homme et de la femme, deux créatures étaient symbolisées. Elles étaient difficiles à décrire ; deux êtres filiformes avec huit membres et aucune tête se détachant du corps. Astril n'avait jamais rien vu de tel.


« Non ce n'est pas la sonde Pioneer 10. », pensa-t-il. Par contre … il semblait que le message que l'on avait envoyé en 1972 avait enfin reçu une réponse !

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